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Des chiffres ou des lettres

Le mois de juin a bien commencé. Les Associations de parents se réjouissent : non seulement les bulletins reviennent aux chiffres avec des énoncés simples, mais la Ministre de l’Éducation, des Loisirs et des Sports autorise les enseignants à indiquer la moyenne de leur groupe. Enfin ! Dans la tête de nombreux parents, on sera enfin revenu au bon sens, à ce qui existait du temps où ils étaient à l’école, on va enfin savoir l’essentiel, c’est-à-dire est-ce que Rejeton est au-dessus ou en dessous de la moyenne dans chacune de ses matières.

Quand j’entends cela, il y a plein de mystères qui naissent dans mon petit cerveau.
• Pourquoi la moyenne ? Pourquoi cette mesure de tendance centrale ? Pourquoi elle toute seule ?
• Qui sont les enfants des parents qui veulent des chiffres ? Sont-ils de façon significative des parents dont les enfants sont au-dessus de la moyenne ?
• Pourquoi préfère-t-on l’évaluation de l’énoncé « Lire » à celui de « Lire des textes variés » ?

Et c’est là que je me dis que…
… que peut-être que les gens ne comprennent pas ce qu’est une moyenne, peut-être que les parents ne comprennent pas combien il est triste et décourageant pour un enfant d’être toujours en dessous de la moyenne quand on travaille fort, peut-être que les énoncés de compétence simplifiés seront encore trop compliqués pour les parents qui préféreront lire une matière et non une compétence…

Et quand j'entends la ministre de l’Éducation déclarer : «Il est encore important de pouvoir situer son enfant dans l'ensemble de la classe pour être capable de bien évaluer son cheminement», je me dis que peut-être que la ministre ne comprend pas ce qu’est une moyenne. Comment un bulletin chiffré peut-il permettre de mieux évaluer le cheminement d’un enfant ?

Ainsi, imaginons Jessica Triser une élève de première année qui a atteint de façon satisfaisante les compétences évaluées (de manière lettrée, nous constatons que Jessica aurait eu des B partout). À mesure que l’année avance, les compétences à atteindre se complexifient et Jessica reste constante en progressant de façon satisfaisante (elle reste à B). Bravo Jessica !

Harry Cover, lui, savait lire et écrire quand il est entré en première année. Sur son premier bulletin, il a eu A, car il dépassait les attentes, alors il s’est ennuyé pendant quelques semaines, ne progressant plus, puis les autres de sa classe ont atteint son niveau de lecture et Harry a perdu son avance, mais il a exactement le niveau attendu. Son bulletin indique B.

Guy Mauve a beaucoup de difficulté en mathématique (D), mais il a travaillé tellement fort qu’il a réussi de façon satisfaisante son évaluation (B).

A-t-on besoin d’une moyenne pour voir le cheminement d’un enfant, Madame la ministre ?

Je n’ai pas l’intention ici de débattre le pour ou le contre le bulletin chiffré ou lettré. Mais je crois qu’il pourrait être utile que sur la blogosphère quelqu’un rappelle ce qu’est une moyenne au-delà de sa formule mathématique que tout le monde connaît.

La moyenne est le centre de masse, c’est le nombril du corps, c’est, sur une baguette, l’endroit où vous posez le doigt pour la tenir en équilibre. La moyenne est toujours influencée par les valeurs extrêmes et celles-ci peuvent même la rendre insignifiante. Et, à moins que toutes les données soient identiques, par définition, il y aura toujours des données qui seront en dessous de la moyenne. Il est impossible que tous les élèves d'une classe soient au dessus de la moyenne !



Jessica, notre élève qui a toujours eu des B est dans une classe spéciale enrichie remplie de petits Harry Cover. Jessica a 75 % sur son premier bulletin et la moyenne de son groupe est 95 %. Ses parents ne sont pas contents. Alors, ils la changent de classe et l’envoient dans une classe remplie de Guy Mauve. Jessica a 75 % et la moyenne est de 40 %. Ses parents sont maintenant fort satisfaits, elle a même eu une nouvelle bicyclette pour ses bons résultats. Eh oui, les enfants, si vous voulez rendre vos parents heureux de votre bulletin, il faut savoir choisir sa classe, bien des étudiants désirant aller en médecine vous le diront !

Harry est dans la classe de Madame Luciole qui donne des évaluations "pop-corn". Il a toujours 100 % et la moyenne de la classe est 90 %. Guy est dans la classe de Madame Mollusque, la méchante qui donne des examens difficiles. Il a 65 % et la moyenne est de 70 %. Harry a le vélo, Guy est privé de télé. Mis dans la même classe de Madame Rose Lépine, Harry et Guy auraient eu la même note.

Autre point, imaginons que tous les élèves d’un groupe ont 75 % sauf Guy Mauve qui a 70 %. La moyenne est de 74 %. Dans une autre classe, les notes se dispersent de 30 % à 100 %, la moyenne est de 74 % et notre Guy Mauve obtient encore 70 %. On constate que dans le premier cas, Guy a des lacunes que son groupe a réussi à surmonter, alors que dans le deuxième cas, on a presqu’envie de le féliciter d’être proche de la moyenne. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, Guy verra sur son bulletin sa note de 70 % avec la moyenne de 74 %.

Qu'est-ce qui distingue un bulletin chiffré d'un bulletin lettré ? L'un donne l'évaluation et la mesure centrale de la classe (la moyenne n'est pas une mesure de position !), l'autre situe l'enfant par rapport à ce qu'il devrait être en mesure d'accomplir. Or, vaut-il mieux situer un élève par rapport à ses apprentissages ou par rapport à la tendance centrale de la classe ?

Si vous couriez le marathon, préféreriez-vous que l’on dise
a) que vous avez réussi à courir tout un marathon ou
b) que vous êtes arrivé dernier au marathon ?

Peut-être que si les professeurs du primaire pouvaient rencontrer plus de 10 minutes deux fois par an les parents, si on expliquait aux parents que « Lire des textes variés » est beaucoup plus significatif sur un bulletin que « Lire », si on leur disait que c’est démotivant pour un enfant d’être le dernier de sa classe, peut-être que les parents ne se réjouiraient pas tant du retour de la moyenne dans les bulletins… où alors, il exigerait aussi qu’on y ajoute au moins l’écart type…

4 commentaires

Charles Nadeau a dit...

Devrait-on aussi inclure l'ecart-type sur le bulletin???

Missmath a dit...

La cote z (qui s'obtient en divisant la distance relative à la moyenne par l'écart type) permet effectivement de situer l'élève, mais uniquement pas rapport à son groupe. Les cégeps (particulièrement les cégeps privés) ont hurlé (avec raison) contre cette cote pour le choix des candidats dans les programmes universitaires contingentés. C'est ce qui a donné naissance à la désormais célèbre cote R... dont plusieurs critiquent la formule.

cabachand a dit...

Très bon billet Missmath! Vous disant le plus des mercis de m'avoir fait découvrir votre tout nouveau blog!

J'attire votre attention, de même que celui de vos lecteurs, sur les très bonnes lettres parues dans Le Devoir d'aujourd'hui.

http://www.ledevoir.com/2007/06/04/146056.html

http://www.ledevoir.com/2007/06/04/146055.html

De même, notre ami Gilles Jobin a écrit un billet très émouvant.

http://www.gilles-jobin.org/jobineries/index.php?2007/06/01/601-lettre-a-mon-petit-fils

Missmath a dit...

Merci, Charles-Antoine pour ces références. Ces articles sont effectivement fort intéressants.

Bienvenu dans le brouillon de poulet.