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Conte à remous

Il était une fois dans un pays lointain, une grande usine dirigée par un bon directeur. Ce bon directeur avait pour l'aider employé toute une équipe d'administrateurs, de conseillers, de coordonnateurs, de contre-maîtres, chacun veillant à ce que les employés produisent bien. Et les employés produisaient biens. Et ces biens enrichissaient les employés, leurs contre-maîtres, les coordonnateurs, les conseillers, les administrateurs et le bon directeur.

Un jour, sans trop savoir comment ni pourquoi, il vint à l'usine un sombre statisticien qui décida de faire du contrôle qualité sur les pièces que fabriquaient les employés et l'on s'aperçut que celles-ci ne répondaient plus aux normes. Voilà sans doute ce qui expliquait la chute libre des profits.

Le directeur demanda donc au sombre statisticien ce qu'il devait faire.

"Je ne suis que statisticien, Monsieur le directeur. À partir d'échantillons, je trace un portrait de votre réalité. Je peux avec mes outils d'analyse reconnaître vos points forts et vos points faibles, je peux même faire des prédictions sur ce qui risque de vous arriver si la tendance se maintient. Je suis le photographe de votre réalité. Je prends votre photo aujourd'hui et avec mes outils, je peux recréer votre image d'il y a 20 ans et vous montrer ce que vous risquez d'avoir l'air dans 10 ans. Mais je ne peux pas plus. Il faudrait consulter les experts dans votre domaine."

- Qu'on appelle les experts !, ordonna le directeur.

Ils vinrent tous, avec leurs toges et leurs diplômes. Serait-il possible qu'enfin un directeur veuille les écouter ?

Le bon directeur les installa dans son chalet confortable au bord d'un lac et leur tint ce beau discours :

"Experts, je vous ai fait venir ici car un sombre statisticien a fait un triste portrait de l'avenir de mes biens. Prenez la semaine, je reviendrai vendredi prochain et donnez-moi la solution."

Les experts n'étaient pas experts pour rien. Cela faisait des années de bourse de recherche qu'ils réfléchissaient aux points noirs identifiés par notre sombre statisticien. Certains chauffaient même leur maison l'hiver avec leurs articles publiés dans les revues scientifiques. Et voilà qu'un bon directeur leur donnait l'occasion de valider à grande échelle le fruit de leurs recherches. En peu de temps, ils renouvellèrent complètement le fonctionnement de l'usine. Oh bien sûr, on y fabriquerait toujours les mêmes biens à partir des mêmes matières premières. Mais du procédé de fabrication jusqu'à la façon de considérer les employés en passant par la nourriture de la cafétéria, tout était réformé.

Le vendredi, le bon directeur arriva : "Experts, je vous écoute."

Dans leur enthousiasme, les experts se mirent tous à parler avec passion.

"Experts, je n'entends rien à vos propos. Que dois-je faire ?"

Il y eut alors un court silence chez les experts. Le temps de réaliser que le bon directeur n'était pas un expert et que, bien qu'il savait administrer son usine, si celle-ci était démodée, c'est qu'il avait lâché le fil du développement. Mais l'enthousiame d'un projet nous fait vite perdre le temps de prendre son temps et c'est une experte vulgarisatrice qui commença à expliquer au bon directeur, à partir du portrait du sombre statisticien, comment il fallait changer l'usine.

Le bon directeur l'interrompit rapidement : "Écoutez, je dois annoncer demain à mon conseil d'administration les changements que nous effectuerons sur l'usine. Je n'ai pas le temps de devenir expert. Expliquez-moi brièvement votre plan et donnez-moi vos recommandations."

L'experte vulgarisatrice sauta donc de la diapositives 5 à la diapositive 64 et expliqua avec un simple résumé de quelques mots-clés mis en boîtes, triangles, cercles et flèches, les grandes lignes de la réforme. L'unanimité des experts réussit à convaincre facilement le bon directeur. Les 15 diapositives suivantes donnaient le plan d'action à entreprendre.

"En auriez-vous une copie papier ?" demanda le bon directeur.

Et il sauta dans son avion et repartit vers l'usine.

Le lendemain, le bon directeur soumit à son conseil d'administration le plan d'action des experts qui fut accepté à l'unanimité. On remit aux conseillers le cd du diaporama produit par les experts en plus d'une trentaine d'autres dossiers urgents à traiter. Chaque adjoint repartit avec sa partie du plan d'action à appliquer.

Le dimanche soir, on réunit tous les dirigeants de l'usine.

"L'heure est grave. Un sombre statisticien nous a montré que nos produits ne répondent plus aux normes du jour. Nos employés sont malheureux. Plusieurs quittent l'usine. Notre équipement est démodé."

Les contre-maîtres et les patrons furent sous le choc. L'équipement fonctionnait pourtant très bien. Lorsqu'ils étaient employés, ils travaillaient avec cet équipement sans problème et produisait un produit de qualité. Comme le produit n'avait pas changé, cet équipement convenait toujours d'autant plus qu'on le connaissait bien. Apprendre le fonctionnement de nouvelles machines demanderait du temps.

Un contre-maître osa la question :

"Combien de temps de formation aurons-nous pour apprendre le fonctionnement du nouvel équipement et comment allons-nous procéder pour le remplacement lors de nos formations ?"

Un directeur de secteur lui répondit :

"Les manuels d'instruction sont simples et se résument à 3 pages. L'équipement sera installé cette semaine, vous pourrez, si vous le désirez, l'essayer pendant l'installation, la semaine prochaine, on commence notre nouvelle façon d'opérer. Pour cela, on n'a pas vraiment besoin de fermer l'usine ou d'engager de nouveaux employés, vous ferez cela pendant vos temps libres."

La contestation s'installa : "Pourquoi changer alors que tout allait si bien ?"

"Écoutez, tout cela est le fruit du travail d'experts et c'est comme ça que nous fonctionnerons dès la semaine prochaine." C'était le mot du directeur... le maudit directeur...

L'équipement se mit en place pendant toute la semaine. Les employés étaient assez curieux de voir ces nouvelles machines. Ils sentaient qu'enfin on s'intéressait à leurs besoins et qu'ils pourraient produire des biens de meilleure qualité avec ces nouveaux outils.

Mais pendant toute la semaine, certains contre-maîtres refusèrent de regarder le nouvel équipement, d'autres tentèrent de trouver un moyen d'installer le vieil équipement sur l'ancien. On a même vu le contre-maître d'un secteur givrer ses fenêtres pour que personne ne voit qu'il avait entreposé le nouvel équipement et n'utilisait que l'ancien.

De leur côté, les employés ne restèrent pas indifférents au changement :

"On avons maintenant des robots pour transporter les boîtes."
"Nous pouvons travailler assis, si on le désire."
"On ne compte plus le nombre de biens que nous produisons, mais on évalue leur qualité."
"C'est nous-même qui construisons notre horaire de travail et cela nous permet de mieux gérer notre temps et notre efficacité."

Et c'est alors que les gens de la ville qui pour la plupart avait déjà travaillé à cette usine, s'en mêlèrent.

"Comment voulez-vous qu'on produise des biens de qualité si ce sont des robots qui les font ?"
"Comment voulez-vous que nous soyons compétitifs sur le marché si l'on ne récompense plus les employés qui produisent le plus ?"
"Quand je travaillais à l'usine, je travaillais fort et je m'entraînais pour avoir le ruban de l'employé de la semaine que l'on donnait à celui qui avait fait le plus de bien. Aujourd'hui, les employés sont tous paresseux."
"Mon fils travaille à l'usine. On dit que son travail est acceptable et qu'il est compétent, mais je ne sais pas ce que ça veut dire, puisque je ne sais pas s'il produit plus ou moins de biens que la moyenne."

Devant toutes ces contestations, le Ministre du travail alla voir le directeur de l'usine et lui dit :

"Les gens aimaient mieux ton usine comme elle était avant. Tu feras bien ce que tu veux, mais si je ne te dis pas d'y aller mollo avec tes changements, le monde va dire que je ne fais rien pour eux. Pis, si je perds mes élections, ben toi, tu vas perdre tes subventions. Fais ce que tu veux, mais c'est ce qui risque d'arriver."

Le mois suivant, le nouvel équipement était vendu et on réinstallait l'ancien pour la plus grande joie des contre-maitres qui disaient à qui voulait l'entendre :

"Vous voyez bien que c'est nous qui avions raison. On devrait nous écouter."

Les employés retournèrent à leur poste comme on rentre de vacances. Le Ministre fut réélu et le bon directeur vieillit en ressemblant parfaitement au portrait que lui avait fait de son avenir le sombre statisticien. Les experts toujours emmaillotés dans leur toge se racontaient tous les mercredis en prenant l'apéro ce beau moment de leur vie où ils ont eu l'impression que leur expertise servirait à autre chose qu'à faire du papier de chauffage. Bref, la vie avait repris son cours normal.

Sauf que...

... certains contre-maitres, certains employés, certains adjoints réalisèrent que, finalement, le nouvel équipement était loin d'être mauvais... Ils avaient beau le dire et le répéter, personne ne les entendait.

Jusqu'au jour où la bonne fée conseillère Martine leur apparut :

"Peut-être qu'on devrait regarder le diaporama au complet pour comprendre la théorie des experts, puis avec notre expertise à nous, on pourrait proposer des actions qui correspondraient vraiment à nos besoins particuliers ?"

Tous les employés, les contre-maîtres, les conseillers, les administrateurs et même le bon directeur travaillèrent en collaboration à la réforme de l'usine. Et ils y vécurent heureux jusqu'à la fin des temps... enfin... jusqu'à la retraite !


La morale de cette histoire : évitez les statistiques.

3 commentaires

cabachand a dit...

«la bonne fée conseillère Martine»

;-)

Anonyme a dit...

Un beau bulletin rempli de statistiques a toujours l'air plus impressionnant ! Et si on avait regardé toutes les diapositives Madame la ministre ???

Anonyme a dit...

Ha tout ces staticiens... ;)