Là où Missmath dérive et Weby intègre.

Présenté par Blogger.

Arrimage difficile

"Avancez en arrière."

Avec l'arrivée des réformés au Cégep, le MELS a décidé que c'était le tour du Cégep de se faire pousser dans sa "logique" du renouveau en moulant nos cours de mise à niveau non pas aux programmes vers lesquels ils mènent, mais en cohérence avec le programme du secondaire.

Le Renouveau, en théorie


On commence à apprivoiser les trois nouveaux profils mathématiques au secondaire :

CST (Culture, société et technologie) : Axé sur la vie sociale, ce profil fera davantage appel à la statistique et aux mathématiques discrètes. On veut préparer les élèves à poursuivre dans le domaine des arts, de la communication ou des sciences humaines et sociales.

TS (Technico-sciences) : Pour les « bidouilleux », les manuels, les ingénieux, ce profil met l’accent sur les études de cas, l’aptitude à repérer les erreurs, à établir des diagnostics, à dégager des processus mathématiques liés au fonctionnement ou à l’utilisation d’instruments liés à certaines techniques.

SN (Sciences naturelles) : Pour les intellos, ce profil ressemble le plus à notre approche traditionnelle au Cégep. On met l’accent sur la compréhension, on amène l’élève à élaborer des preuves ou des démonstrations et on pousse sa capacité d’abstraction (propriétés, théorèmes). L’accent est mis sur la recherche et l’analyse. Cette voie est intentionnellement tracée par le MELS pour la recherche théorique, donc sciences de la nature.

Si ces profils ont des approches et des contenus différents, les évaluations reposent sur les trois mêmes compétences tout au long de la formation (de la maternelle au 5e secondaire).

C1 : Résoudre une situation-problème
C2 : Déployer un raisonnement mathématique
C3 : Communiquer à l’aide du langage mathématique.

En troisième secondaire, les élèves vivent un tronc commun augmenté par rapport aux anciens programmes de 50 heures d’algèbre. Puis, selon ses intérêts et ses affinités, l’élève est appelé à la fin de sa première année du deuxième cycle du secondaire à choisir un des trois profils.

Si une école est trop petite pour offrir les trois profils, les commissions scolaires sont obligées par le MELS d’offrir les trois profils, quitte à changer des élèves d’école selon leur choix.

Le Renouveau, en pratique

Pour maintes raisons administratives ou simplement pratiques, le profil à la carte, selon les intérêts des élèves, ne se fait pas et ce sont la plupart du temps les notes qui déterminent le profil des élèves. Les plus faibles en mathématique seront directement envoyés en CST, sans passer GO, même s’ils rêvent de devenir techniciens ou astrophysiciens. Dans certaines écoles, on exigera au moins 75 % pour entrer dans les profils TS ou SN. Parallèlement, l’élève humaniste qui aura choisi les études du programme international, par exemple, ne pourra probablement pas choisir le profil CST et sera directement envoyé en SN (ou, dans certaines écoles, en TS).

Il faut également réaliser que l’évaluation des compétences amène lors des évaluations un niveau de complexité qui dépasse largement les techniques de résolution. Les épreuves finales ministérielles ne demanderont pas à l’élève de trouver le sommet d’une parabole donnée ou de trouver ses zéros. On préférera lui donner une situation de problème complexe dans lequel joueront plusieurs concepts. L’élève devra réaliser que pour résoudre le problème, il doit d’abord, entre autres choses, trouver le sommet, puis trouver les zéros.

Comme je le disais dans un précédent billet, on ne se situe plus au niveau de la technique, mais au niveau de l'analyse, voire de la synthèse. On pourrait donc s’attendre à recevoir des élèves beaucoup plus forts qu’avant, habitués à vivre de vrais examens synthèses.

Mais l’approche pédagogique du renouveau n’est pas miraculeuse et certains élèves n’arrivent pas à atteindre de si hauts niveaux de complexité dans tous les domaines et à la vitesse imposée par le MELS. Pour ne pas nuire à la réussite des élèves, on aura donc les premières marches de l’évaluation fort généreuses et d’année en année, des élèves seront « pelletés » en avant… jusqu'à obtenir leur DES et se retrouver dans nos classes du Cégep.

Et il arrive qu'entre 15 et 17 ans les jeunes changent d'avis et réalisent qu'ils leur manquent les préalables mathématiques pour entrer dans le nouveau programme de leur choix.

C’est à la dernière minute que le MELS a réalisé que le Cégep devait émettre des préalables pour ses programmes et que le profil SN, réservé pour Sciences de la nature, était bien maigre s’il fermait la porte à toutes les techniques. On a donc en catastrophe tenté de rendre les profils TS et SN équivalents. Or, si TS-5 est désormais équivalent à SN-5, il n’en est rien pour TS-4 et SN-4. Heureusement, les techniques qui ont comme préalables des mathématiques de 4e secondaire ont également des premiers cours de mathématique qui reprennent les notions vues au secondaire.

La mise à niveau au Cégep, en théorie

En enterrant nos vieux cours, le MELS a créé en mathématique 4 nouveaux cours de mise à niveau au Cégep.

201-012-50 : Mise à niveau pour CST4. Offert aux étudiants qui pourraient être admis sans D.E.S. ou des anciens étudiants qui ont eu le DES du temps où il était possible de l’obtenir sans mathématique.

201-013-50 : Mise à niveau pour TS4.
(2-2-2) Le MELS précise : ce cours a été conçu en tenant compte du type de clientèle attendue soit des élèves maîtrisant les contenus de la séquence CST4.

201-014-50 : Mise à niveau pour CST5.

201-015-50 : Mise à niveau pour TS5.
(4-2-4) Le MELS précise : ce cours a été conçu en tenant compte du type de clientèle attendue soit des élèves maîtrisant les contenus de la séquence TS4 ou SN4.

Premier constat, le MELS a négligé le profil SN dans ses cours de mise à niveau. La raison en est fort simple : aucun programme n’a comme préalable le SN4 et le SN5 est équivalent au TS5. Comme le profil TS a été bâti pour les élèves ayant un profil technique, il est tout à fait logique que le MELS ait choisi cette séquence.

Notre Cégep a choisi d’offrir le 015 et, pour encourager nos nombreux programmes en difficulté, le 013. C’est, notons-le bien, la première fois que le Cégep offre un cours de 4e secondaire et nous en sommes bien déroutés.

Conformément à l’optique du MELS, les plans cadres de nos cours de mise à niveau ont rattaché aux critères de performance les contenus du programme de formation. Nos cours de mise à niveau sont équivalents aux cours du secondaire.

La mise à niveau au Cégep, en pratique

Comme il fallait s’y attendre, le 013 s’avère chez nous une mission impossible. La réalité de la pratique frappe le mur de la théorie. Nous accueillons les élèves les plus faibles qui ont reçu une formation plus axée vers les statistiques et les mathématiques timides discrètes et nous devons en 60 heures réussir à leur donner la formation pour laquelle les écoles secondaires ne les ont pas jugés capables de faire en 150 heures.

Et remarquons bien les précisions du MELS : « ces cours s’adressent à des élèves qui maîtrisent les préalables ». Un élève qui ne fait que passer maîtrise-t-il le cours ?

Mais ce n’est pas tout.

En supposant que l’on arrive à arrimer le renouveau pédagogique à nos cours, il restera encore pendant plusieurs sessions des élèves qui arriveront de l’éducation aux adultes (où le renouveau ne sera pas en application avant 2 ou 3 ans) et des élèves qui nous arriveront de l’ancien programme avec des profils 416, 426, 514, profils qui sont plus ou moins comparables aux nouveaux profils, si on exclut la force des élèves qui les habitent.

Mais ce n'est pas tout.

Comme le secondaire met désormais l'emphase sur l'analyse, dans certaines écoles, les techniques de résolution sont informatisées. Les écoles fournissent à leurs élèves des calculatrices programmables bourrées de programmes permettant par exemple de factoriser, de trouver les zéros, de calculer des distances, de donner les mesures d'un triangle quelconque, calculer les statistiques d'une série de données. Or chez nous, au Cégep, les programmes qui permettent la calculatrice programmable font exception. Doit-on alors dans nos cours de mise à niveau faire apprendre aux élèves toutes ces techniques qu'ils auraient dû apprendre au secondaire ? Oui ? Il faut alors repartir des tables de multiplication que ces élèves ne connaissent pas, passer par l'art de mettre sous le même dénominateur, l'algorithme de division... mais au fond, pourquoi ?

La logique du MELS

La réforme a commencé au Cégep dans les années 90. Puis, en 2000, elle commençait au primaire.

Au Cégep, outre la rédaction des plans cadres qui a été dans les premiers temps une véritable blague tant on n'avait aucune idée de ce qu'il fallait y faire et l'approche programme qui nous a donné de belles occasions de nous entretuer entre disciplines, l'approche par compétences s'est traduite dans les faits par l'unique changement des mots "objectifs" par "compétences". Certains cours n'ont pas changé d'un iota.

Pourquoi ? Parce qu'ils étaient parfaits comme ils étaient ou parce que la nature humaine n'aime pas le changement ?

Si c'est parce qu'ils étaient parfaits, alors la tâche sera lourde dans les cours de mise à niveau.

Si c'est parce que la nature humaine a horreur du changement, le temps est venu de s'y mettre.

Supposons qu'on s'y mette

Dans ce cas, la résolution de situation de problèmes devient le coeur de l'enseignement, le prétexte à la communication et au développement de raisonnement mathématique.

Mais...

Le premier cours de mathématique des programmes techniques est en général un cours révisant les notions du secondaire en les appliquant spécifiquement au programme. Les énoncés de compétence sont explicites :

Appliquer les mathématiques dans des situations liées à ... (nom du programme).


À ce compte-là, les cours de mises à niveau en mathématique permettant d'entrer dans un programme seront plus difficiles (car plus étendus) que les cours de mathématique du programme. Étrange, non ?

Pourquoi, par exemple, imposer à un étudiant de géomatique d'apprendre à factoriser des polynômes ou de résoudre des fonctions rationnelles, exponentielles ou logarithmiques alors que dans sa formation, il utilisera de son cours de mise à niveau que les éléments de trigonométrie dont le chapitre entier sera repris dans son cours de Trigonométrie ?

Alors peut-être faudrait-il pousser plus loin dans les cours du programme. Mais ce n'est pas l'intention du MELS quand on regarde les critères de performance qu'il prescrit dans les cours des programmes qui, eux, sont inchangés.

Et l'université dans tout cela


Le Cégep est le relais entre le secondaire et l'université. L'université a-t-elle changé sa façon de faire des mathématiques ? Si oui, il est donc impératif que le Cégep le fasse aussi. Sinon, il est impératif que le Cégep inculque aux élèves la façon traditionnelle de faire des mathématiques et dans ce cas, non seulement doit-on donner nos cours (qui sont bien chargés), mais en plus devons-nous changer la façon dont les élèves ont l'habitude de faire des mathématiques. Dans un cas comme dans l'autre, le Cégep doit changer sa façon de faire.

Conclusion

Peu importe l'angle d'analyse de la situation, on trouve quelque chose qui ne fonctionne pas. Et pourquoi ça ne fonctionne pas ? Parce que la théorie est trop différente de la pratique. Parce que les références historiques sont très fortes et que le manque de ressources nous fait s'y agripper comme à un câble de survie.




Image : La boîte de Pandore, J.W. Waterhouse

9 commentaires

Le professeur masqué a dit...

Chronique d'un bordel annoncé...

Tu y crois, toi, aux élèves qui changent d'école pour aller suivre un cours de maths ailleurs...?

Je t'invite à aller lire ce billet chez Mario Asselin. Tout devient limpide après l'avoir lu: http://carnets.opossum.ca/mario/archives/2010/10/la_strategie_gouvernementale_reforme_du_curriculum.html .

Missmath a dit...

Non, je n'y crois pas du tout. C'est pour cela que c'est dans la partie "en théorie". Un ado ne quittera pas sa gang pour aller dans une autre école suivre le programme de maths qui correspond le mieux à son profil. D'autant plus que l'autobus ne suivra pas !!!

Missmath a dit...

Le billet de Mario Asselin, condensé de la thèse de Anylène Charpentier, est à lire absolument. Merci PM !

Hélène a dit...

Quel portrait détaillé et éclairant. Votre billet devrait être lu par tous les conseils d'établissement, parents, conseillers pédagogiques , etc.. diffusé partout afin qu'ajustements et correctifs puissent être envisagés.

Anonyme a dit...

« On a donc en catastrophe tenté de rendre les profils TS et SN équivalents. Or, si TS-5 est désormais équivalent à SN-5, il n’en est rien pour TS-4 et SN-4. »

Cette phrase me turlupine. En réalité, les contenus du programme de TS4-5 (ensemble) sont plus nombreux que les contenus vus en SN4-5. Malheureusement, certaines écoles ont fermé les yeux sur cette vérité.

En effet, en TS on montre aux élèves de quatrième secondaire la fonction exponentielle et la résolution logarithmique. (Qui n'est pas vue en SN4) On leur montre aussi les rudiments de plusieurs fonctions, sans les paramètres h et k : (la fonction quadratique, la fonction racine carrée, la fonction partie entière et la fonction par parties). En SN, on fait fi de l'écart type et de l'écart moyen. En SN, on remplace ces notions par les solides équivalents...

Arrivés en cinquième secondaire, les élèves de SN ne voient pas ces chapitres, qui sont pourtant vus en TS : les relations métriques dans le cercle, les relations coniques déphasées, les transformations géométriques dans le plan cartésien, les transformations géométriques dans le plan cartésien à l'aide des matrices, et j'en oublie sûrement...

Ce qui est aberrant, c'est que certaines écoles continuent de dire que la séquence SN est « plus difficile » que la séquence TS. Or, c'est la séquence Technico-Sciences qui est la plus complète.

En pratique, il est impossible de faire une différence dans l'approche entre technico-sciences et sciences naturelles.

Il est impossible de relier la différence de carrés à l'utilisation d'un outil technique. J'ai essayé. Si c'est possible, les élèves ne voient pas du tout le lien, car il demeure nébuleux.

Étant donné que les résultats en TS sont plus faibles et que l'approche est totalement la même qu'en SN, pourquoi une école voudrait garder ce programme? Certaines par obligation... Alors elles continuent de dire que « TS, c'est comme 426 »...

Le programme de TS a de bonnes raisons d'exister, mais le MELS doit absolument revoir ce programme.

Mons**** A

Missmath a dit...

Tous les domaines utilisent les mathématiques comme outils. Même les mathématiques. La différence de carrés est un outil bien utile en algèbre.

Et s'il fallait que les mathématiques soient applicables directement avec un outil technique au secondaire, on s'en tiendrait aux opérations élémentaires (+, -, *, /) et à leurs propriétés, aux %, à un peu de fonctions exponentielles et logarithmiques (question d'intérêt), à une base de géométrie et à beaucoup de calcul mental.

Missmath a dit...

(Je suis encore sous le choc de la correction de mes examens. Ce n'est même pas épouvantable, c'est catastrophique. Analphabétisme vous dites ?)

The Dude a dit...

C'est un billet trés intéressant. Et je constate aussi que ce que je vis par rapport à TS-SN est vécu aussi par "Anonyme" et d'autres. Je ne sais pas d'où ça vient (et je me tue à leur répéter le contraire) mais les élèves sont convaincus que SN est plus "enrichi" que TS. Par contre, je trouve que TS est un très beau programme et je suis bien content de l'enseigner. Enfin...

Apparamment que le Ministère aurait souhaité avoir en mathématiques un tronc commun jusqu'à la quatrième secondaire et une seule année de spécialisation en cinquième secondaire. Pourquoi ? Parce que la sanction est en quatrième secondaire et que le Ministère voulait un diplôme "équivalent" pour tout le monde. Pour ma part, j'y voyais plusieurs avantages. Mais ôôôôôôôôôô ceux-qui-décident-pour-les-mathématiques ont dit : "Non ! Traditionnellement, ça a toujours été en quatrième qu'on fait le choix (pensez à 416-514/436-536), alors c'est en quatrième que ça va se passer ! Pis en plus, on a besoin de ces deux années pour enseigner toute la matière." Belle façon de ne pas décevoir les stéréotypes. Du coup, le Ministère accepte mais s'arrange de toute façon pour que le diplôme ait essentiellement la même valeur en quatrième secondaire qu'importe la séquence choisie et surcharge le programme de troisième secondaire (surcharge : le mot est faible, au niveau du rythme, c'est comparable à TS-SN de quatrième).

Et cela fait aussi en sorte que les élèves continuent de faire des choix qui ont des impacts significatifs sur leur parcours scolaire à 14 ou 15 ans alors qu'ils ne comprennent pas exactement les concepts "d'intérêts" ou de "besoins" (après CST, TS et SN, voici le profil PXFB, c'est-à-dire Playstation Xbox FaceBook). À cet âge l'adéquation entre "ce que je veux" et "ce que je dois faire pour l'avoir" est particulièrement flou surtout lorsqu'il est question de déployer des efforts.

Un élève qui n'a jamais été particulièrement surdoué en mathématiques ou qui n'est pas disposé à déployer de grands efforts et consacrer son temps à ses mathématiques choisiera probablement CST. Il réussit CST et obtient son DES (plutôt que d'échouer en SN et ne pas obtenir son diplôme). Il ira au cégep, vieillira un peu, sera un peu plus autonome et responsable et pourra se découvrir de nouvelles aspirations à ce moment-là. Il sera peut-être temps pour lui d'aller chercher son profil TS ou SN. Les cours de mise à niveau sont donc, à mon avis, une partie essentielle de l'équation. La situation n'est pas idéale et vous devrez parfois faire des miracles, et pour cela je vous admire.


(Sur un autre sujet complètement, avez-vous eu la chance de voir l'exposition de J.W. Waterhouse au Musée des beaux Arts l'année dernière ? C'était spectaculaire).

Normand Baillargeon a dit...

Merci de ce billet très instructif... mais déprimant.

Comme on les maltraite, mes pauvres maths chéries.

Normand Baillargeon