On a regardé mes diplômes démontrant que je savais "mathématiquer" et on m'a dit :
"Va et prêche plus".
Puis, de paraboles en dérivation, un jour, j'ai connu l'intégration.
Cela s'est fait doucement. Une élève atteinte de spina bifida. Il suffisait de lui ouvrir les portes ou de faire de la place pour son fauteuil.
Puis, il y a eu quelques élèves avec un handicap auditif. Le premier m'équipait d'un émetteur radio (eh oui, de la ballado-diffusion avant le temps), la dernière lisait sur mes lèvres et entre les deux, il y a eu Titi Gigi et son interprète qui traduisait mes délires en gestes. J'avais l'impression d'être au parlement ! Pauvre interprète ! D'ailleurs, ça n'a pas été long que Titi l'a flushée pour se débrouiller par elle-même. De toute façon, les maths, c'est plus pour les visuels.
J'ai aussi eu un élève avec un handicap visuel sévère. Il regardait les notes agrandies que je lui passais avec une loupe encore plus grossissante. Il faisait ses examens sur une visionneuse spéciale ce qui évidemment lui demandait plus de temps que les autres. Mais est-ce correct de lui laisser justement plus de temps pour faire ses examens ?
Premier réflexe : sur le marché du travail, cet élève ne sera pas compétitif, puisqu'il sera plus lent que les autres. Euh... peut-être, mais est-ce tous les emplois exigent rapidité ? Et puis, est-ce que j'évalue ses compétences en mathématique ou j'évalue sa rapidité à démontrer ses compétences en mathématique ? Clairement, le temps ne fait pas partie du contexte de réalisation. Mais alors, ne devrais-je pas donner aux élèves lents tout le temps qu'il leur faut ?
"Excuse-moi, chéri, je ne rentrerai pas cette nuit, je dois surveiller un examen."
Depuis quelques sessions, l'intégration au Cégep est devenue encore plus complexe. On parle de trouble du comportement. J'exclus les dépressions (j'ai une élève qui est partie à pied et pieds nus dans la neige à Montréal (c'est quand même à 200 km !)), l'épuisement professionnel (oui, oui, nos élèves font des burn-out !) ou les bipolaires (il était beau Félix quand il a décidé qu'il allait organiser le trafic aérien sur les pistes de l'aéroport...). En général, ces cas sont hospitalisés et ils nous reviennent sur le piton comme des calculatrices (fonctionnant au lithium). Non, ici je parle d'autisme, de syndrôme d'Asperger, de la maladie de la Tourette.
Voici comment ça se passe. Vous recevez vos listes d'élèves la veille de la rentrée et avec elle une enveloppe vous déclarant grand gagnant d'un "cas". Vous y trouvez le nom et des pages de description de la maladie. Avec un peu de chance, vous avez des commentaires particuliers de la part souvent des parents. Généralement, il n'y a rien. Quand vous lisez que l'élève est sourd, qu'il a besoin d'un preneur de note et que vous le regardiez quand vous parlez, ça va. Mais quand vous lisez que l'élève est autiste, qu'il n'arrive pas à s'exprimer car les mots qu'il dit ne sont pas ceux qu'il pense, qu'il ne faut pas lui dire "tu donnes ta langue au chat", parce qu'il va se la couper et cherchera le chat, c'est moins drôle. Quand en plein cours il se lève paniqué et s'écrit : "J'ai oublié de prendre mon relevé de caisse à la coop, oh non, oh non, faut que j'y aille, faut que j'y aille" et qu'il part en courant comme si le feu était pris, c'est aussi moins drôle. Quand vous pouvez dire l'heure qu'il est en comptant les "AAAAAARG" qu'il lance haut et fort toutes les 5 minutes, c'est moins drôle. Quand un élève ne supporte pas d'être regardé et repousse tout ceux qui tentent de l'approcher, c'est moins drôle. Surtout quand on vous demande explicitement de ne pas dire au reste de la classe que cet élève est atteint d'une maladie. Surtout quand les autres élèves de la classe surchargée le rejettent à cause de son comportement bizarre. Surtout quand ce rejet mène cet élève au comportement bizarre au suicide. Là, on arrête et on ne veut plus rien savoir des enveloppes.
Mes diplômes attestent que je suis mathématicienne et mes collègues sont ingénieurs. On a beau en parler entre nous, on ne sait pas quoi faire. On nous a engagés comme enseignants, comme pédagogues. Plusieurs d'entre nous n'avons aucune formation en éducation. Et de plus en plus, on nous demande d'être spécialistes en adaptation scolaire. Ayoye, on est loin de notre formation ! Y a-t-il un orthopédagogue dans la salle ?
Depuis deux semaines, dans mon cégep, il y en a une !!!
(Applaudissements pour mon Cégep)
Je dois absolument conclure en soulignant que tous mes "cas d'enveloppe" étaient des élèves extraordinaires. Déjà, pour se rendre et réussir au Cégep malgré leur handicap, ils se doivent d'être des battants qui ont un sens de la débrouillardise et de l'organisation et une intelligence que je leur envie. Certains de mes collègues ont été moins chanceux.
**Dessin reproduit avec la permission de Titi Gigi.
3 commentaires
Je trouves vraiment que l'école d'aujourd'hui n'est pas adaptée au fait que nous soyons tous "unique",qu'elle généralise le terme d'être humain...
Mais bon,comment faire autrement ?
Il y a quand même eu des progrès pour mettre en valeur l'unicité de chaque apprenant depuis 50 ans, non ?
oui, puisque vous me posez des questions rhétoriques...
Mais bon cela reste un prôbleme
...
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