Ils sont jeunes et beaux.
J'ai rencontré les premières années. Premières sessions au cégep. Ils sont sages... pour l'instant !
L'an dernier, comme je n'avais pas enseigné en première session depuis longtemps, j'ai été choquée de certains comportements que je ne me souvenais pas avoir vu au cégep : écouteur volumineux en classe, avion en papier, lancer de petites boulettes, des élèves qui se lèvent pendant un exposé magistral pour aiguiser un crayon, pour aller remplir une bouteille d'eau... Le cégep se transformait-il en école secondaire ? Le temps était-il venu d'en faire une école de réforme ? (S'cusez-la, elle était facile.)
Avant d'implorer Skinner, le saint patron des profs désespérés, un regard par la fenêtre accompagné d'une profonde inspiration est conseillé. C'est alors qu'à la manière du Docteur House des éléments se placèrent. Le stationnement était plein, Guillaume se cherchait une place. À 19 ans, Guillaume venait d'aménager le sous-sol de ses parents pour y vivre avec sa copine Isabelle.
Pendant que les avions de papier volaient, que Guillaume stationnait et que je regardais par la fenêtre en prenant une bonne inspiration, des conseillers pédagogiques préparaient avec archarnement un plan d'aide à la réussite pour améliorer notre image aux yeux du Ministère tout en augmentant notre taux de diplomation.
On cherche encore aujourd'hui la bonne idée pour avoir un plan efficace.
LA bonne idée.
Car des idées, on en a eues (et du pétrole aussi, mais ça, c'est une autre histoire).
Disponibilité des professeurs en dehors des heures de cours, politique départementale d'encadrement des élèves en difficulté, tutorat par les pairs, variation des approches pédagogiques dans les cours (trois méthodes différentes doivent figurer au plan d'études). S'ajoutent souvent la disponibilité du matériel didactique sur Internet, la possibilité d'avoir des forums de discussion pour les classes et la facilité de rejoindre un prof par téléphone ou par courriel et l'ouverture des autres profs d'un département à répondre aux questions d'un élève d'un collègue. Ça, c'est ce que nous faisons de bon coeur pour nos élèves au département de mathématiques. Nos collègues de physique en font encore plus en ajoutant à tout cela l'administration d'un centre d'aide. Plus de pression, le prof est au service de l'élève.
Résultat ?
Mathématique est toujours présent au palmarès des cours ayant les plus grands taux d'échecs.
Que peut-on faire de plus ?
Ils ont 17 ans. Les garçons ont les hormones dans le tapis. Les filles ont des décolletés plongeant et des pantalons taille basse. Ils travaillent tous pour payer leur voiture, leurs vêtements, leurs cellulaires, leurs voyages dans le Sud, leurs sorties de fin de semaine, leurs planches à neige, leurs loisirs. Nos jeunes sont parmi les plus riches du Québec et, pour la plupart, leur travail rémunéré ne sert pas à les nourrir, ni à les loger, encore moins pour payer leurs études.
Quand commencent-ils à travailler ?
La loi sur les normes du travail interdit à un employeur :
1. de faire effectuer par un enfant un travail disproportionné à ses capacités ou susceptible de porter atteinte à son éducation, à sa santé ou à son développement;
2. de faire travailler un enfant de moins de 14 ans sans le consentement écrit du parent;
3. de faire travailler, durant les heures de classe, un enfant tenu de fréquenter l’école;
4. de faire travailler, entre 23 heures et 6 heures le lendemain, un enfant tenu de fréquenter l’école, sauf si l’enfant livre des journaux, ou s’il effectue un travail à titre de créateur ou d’interprète dans certains domaines de production artistique.
Ça veut dire qu'à partir de 14 ans, un jeune peut travailler en dehors des heures de cours, pourvu qu'on lui accorde 7 heures libres durant la nuit. Bon, ils ne doivent pas être nombreux dans cette situation. Mais il ne faut pas oublier non plus que les employeurs ont de plus en plus besoin de main d'oeuvre étudiante.
Récapitulons.
École, travail, amis, premières amours (et elles deviennent sérieuses très rapidement), premières déchirures, internet... On ajoute à 18 ans la voiture. Il ne leur manque que l'hypothèque et les enfants pour avoir toutes les responsabilités des adultes !
Une étude du SRAM sur le passage secondaire-collégial démontre clairement que les élèves qui consacrent le plus de temps à leurs études au secondaire sont ceux qui réussissent le mieux au cégep. Le lien est évident. Professeurs du secondaire, donnez des devoirs, donnez des travaux à faire à la maison. Mais le message envoyé aux professeurs du secondaire, par leur direction suite aux pressions des parents et du Ministère qui surveille aussi leur taux de réussite : pas de devoirs ni d'évaluation en fin de semaine, ni les lundis car les élèves ont des emplois rémunérés les week-end* et ils n'ont pas le temps d'étudier. L'école pas de sac.
On se retrouve donc au cégep avec des élèves qui n'ont plus l'habitude d'étudier, qui comblent les trous dans leur horaire en effectuant un travail rémunéré et qui en dehors de leurs heures de classe ou de travail, se forgent des obligations de couples ou exigent du temps de loisir. Vous en connaissez beaucoup de gens sur le marché du travail qui apportent du travail à la maison tous les soirs ? Où sont les modèles ?
Et pendant ce temps-là, on se demande pourquoi les élèves en difficulté ne profitent pas de nos mesures d'aide...
Ne serait-ce pas tout simplement parce qu'ils ne savent pas ce que c'est que le travail d'étudiant ?
Et si vole cet avion en classe, c'est peut-être simplement parce qu'à 17 ans, avec 30 heures de cours et 20 heures de travail rémunéré chaque semaine, ils ont besoin de jouer ?
Et si on leur apprenait ce que c'est que le travail d'un étudiant ?
Et si on regardait les mathématiques que l'on peut tirer des avions en papier ?
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