Je me souviens en début de carrière avoir fait l'apologie de la correction devant mes collègues éberlués.
Je leur disais :
J'adore corriger. La correction, c'est la communication un à un entre les étudiants et le professeur, c'est la démonstration de ce qui a été bien compris et de ce qui l'a moins bien été, c'est une référence précieuse pour mieux comprendre le raisonnement des étudiants, voir les failles dans leurs compréhensions pour par la suite les utiliser pour améliorer sa didactique. La correction, c'est à la fois l'évaluation des apprentissages des étudiants et des enseignements du prof.
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
En 2009, un professeur de niveau collégial qui tient ce discours répond forcément à l'un ou l'autre de ces critères :
- Il n'a pas de charge d'enseignement et il est conseiller pédagogique.
- Il enseigne à temps partiel.
- Il est tout nouveau dans l'enseignement, dans la région et il n'a pas de loisirs, ni de maison, ni d'amis ni de famille.
- Il est prof d'éducation physique.
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
Connaissez-vous le Défi Santé 5/30 ?
Il s'agit en fait de s'engager à manger au moins 5 portions de fruits et légumes par jour et faire au moins 30 minutes d'exercices physiques au moins 5 fois par semaine.
C'est inévitablement excellent pour la santé, ça réduit les risques de développer un cancer (contribuez à la recherche en commanditant l'équipe de Jocelyne la Gagnante, il suffit de cliquer ici à droite) et tant d'autres maladies, c'est bon pour l'équilibre mental et tout et tout.
Évidemment, on ne peut que désirer vouloir relever ce défi.
Bien sûr, ce défi se fait présentement sur une base volontaire. Mais imaginons qu'une fois inscrit, il devienne obligatoire. On vous fournit les fruits et légumes parmi ceux que vous aimez, on chronomètre votre temps d'activité physique. Des sanctions sont appliquées si le compte hebdomadaire n'y est pas. Ça devient du coup moins drôle, n'est-ce pas ?
Or, une semaine, vous avez des réunions et des invitations qui vous tiennent fort occupés toute la semaine et qui vous nourrissent de bonnes choses mais sans trop de fruits et de légumes (oui, oui, c'est possible), vous passez votre dimanche à préparer ces rencontres et quand arrive le samedi, le compte de votre défi 5/30 n'y est pas. Allez zou, une journée pour faire au moins 150 heures d'exercices, et manger au moins 20 portions de fruits et de légumes. Ça tombe sur le système digestif ça, Monsieur. Ce n'est pas drôle du tout.
Maintenant, imaginez 15 semaines.
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
Bien sûr, ce sont toutes les autres tâches connexes qui nuisent au plaisir de la correction. Si nous redonnions toujours les mêmes cours construits en mode déversement de savoirs sur les étudiants avec les mêmes notes de cours et sans offrir de disponibilité ni d'ouverture aux étudiants, si on se retirait de toutes les activités associées à notre travail pour les laisser aux autres membres du département et si on pouvait prendre le temps de bien la faire, la correction ne serait pas un problème.
Mais...
Pour être formative, une évaluation devrait fournir une rétro-action sur le champ.
C'est possible grâce aux tests informatisés, mais, on l'a vu ici, cette forme d'évaluation a des limites. Comme un distributeur médical ne remplacera jamais un médecin, l'auto-évaluation ou les test informatisés ou la correction par les pairs ne remplaceront jamais l'évaluation faite par l'évaluateur.
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
La pile me regarde.
Ma grille d'évaluation est faite.
Ma plume a une nouvelle cartouche d'encre.
Je corrige toujours un numéro à la fois et en une fois. C'est plus long, mais c'est plus juste. Ça évite d'avoir à toujours annoter la grille pour des trucs exceptionnels qui parfois ne reviennent pas, mais qui parfois reviennent.
Le cerveau passe alors en mode comptable et juge.
L'erreur d'écriture ici vaut-elle autant que l'erreur de calcul là ?
L'erreur dans la transcription du problème amène-t-elle le même coefficient de difficulté, permet-elle d'évaluer les compétences autant que le problème original ?
Et que dire des torchons remis qui sont tellement plus nombreux que les cahiers bien rédigés...
On finit par être enveloppé dans une bulle que j'appelle une bulle de correction.
Une impression d'irréel dont on ne sort pas immédiatement.
Le cerveau en béchamel.
Comme un mauvais rêve que l'on traine longtemps après le réveil.
Un exercice qui dure des heures, des journées entières.
De l'endurance.
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
Est-ce un x ou un y ? Un 1 ou un 7 ?
Où se poursuit la solution ? Dans quel feuillet ? Où est la suite du numéro ?
C'est quoi ces pattes de mouche ?
La première fois que mon Breton préféré a vu mes copies à corriger, il m'a dit :
"Tu corriges également les brouillons de tes étudiants ?"
Pourtant, la première page de l'examen présente cette consigne :
Aucune copie brouillon ne sera corrigée.
C'est faux. Je ne peux pas me permettre d'appliquer cette règle. Elle est là comme un souhait. J'évalue des compétences mathématiques, pas de la calligraphie, pas la propreté de la rédaction. Quand une évaluation compte pour 40 % de la note finale, je ne peux pas refuser de corriger une copie parce qu'elle est brouillon, un étudiant ne peut pas échouer ses maths parce qu'on ne lui a jamais appris à rédiger proprement ses solutions. Les étudiants le savent trop bien, ça fait 12 ans qu'ils réussissent comme ça. Pourquoi ferait-il soudainement attention rendu au Cégep ? Par respect pour le prof ?
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
Un des étudiants montrés ci-dessous à qui je me suis plaint de la piètre qualité de la rédaction de ses examens pendant toute la session m'a demandé alors que je lui arrachais sa copie (non, mais après 3 h 30 de test, il faut que ça finisse un jour) :
"Est-ce que vous voulez que je vous le réécrive au propre ?"
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
De ce que j'ai vu en France, jamais un étudiant en arrive là car dès le primaire, on lui apprend à remettre des copies proprement rédigées. Papier réglementaire, encre bleue ou noire, entête soulignée... Si la qualité n'est pas là, l'élève recommence ou obtient 0. Bien sûr, ça brime un peu la créativité, mais diable que ça allège les heures de correction !
Heureusement, de trop rares copies arrivent à apaiser les souffrances.
Hélas, elles sont rares.
La session prochaine, je n'accepterai plus de copies brouillons.
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff...
L'enfer est peuplé de bonnes intentions... et il porte parfois le nom de "correction".
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MÀJ :
J'ai une collègue (qui est mon modèle, mon but à atteindre) qui est très sévère sur l'écriture lorsque les étudiants arrivent au Cégep (elle donne surtout des cours de première année). Elle ne se gêne pas pour enlever des points lorsque les étudiants ne répondent pas aux normes de qualité. Les étudiants ragent, la trouvent trop sévère, trop injuste. "Elle m'a enlevé un point parce que je n'ai pas mis de flèches à mes axes." Il n'en demeure pas moins que les étudiants qu'elle nous envoie nous donne en deuxième année du travail de meilleure qualité... bon, il y en a toujours chez qui les mauvais plis reviennent vite, mais au moins, grâce à elle, ils le savent !
11 commentaires
... et il te reste l'espoir que ça sera mieux l'année prochaine....
:-(
En effet, en france j'aurai rendu des copies comme les premiers exemples, je n'aurai pas été corrigé du tout, je pense.
Car même si nous évaluons des compétence mathématiques, à l'oral comme à l'écrit, il y a aussi la façon de le dire ou de l'écrire qui rentre en compte.
après tout, il y a encore certaine entreprise qui font des tests de calligraphie avant d'embaucher pour connaître la personnalité de leur employé. Bizarrement, les CV ne sont quasiment plus manuscrit sauf si la personne écrit très bien ;).
Je n'ose imaginer qu'un jour nous arrivions peut-être à des copie rédiger sur un clavier et non à la main faute de leur avoir appris à soigner un temps soit peu leur copie dans les classe inférieur.
Bon courage MissMaths!
La présentation n'a rien a voir avec tout ça. Je pense que tu refuses tout simplement de t'avouer le principal... Tu n'aimes pas corriger...... les maths d'ingénieur. Hi hi! Soit dit en passant, il semble qu'il y en ait qui abusent sérieusement sur le manque de propreté.
En fait pour faire diminuer ce problème, je construis une évaluation dynamique en début d'année incluant les travaux personnels maison. Je pondère de façon assez sensible sur le premier devoir la présentation et j'en diminue rapidement le poids au fur et à mesure au cours des évaluations suivantes. Ceci à deux avantages. D'une part de permettre aux élèves les plus fragiles de ne pas avoir tout de suite de trop mauvaises notes en faisant apparaître un objectif intermédiaire réaliste, concret et facilement atteignable indépendant de leur niveau. Cela permet aussi d'améliorer de façon sensible la présentation de copies de certains élèves!
http://beverycool.hautetfort.com/archive/2008/11/29/evaluation-dynamique-differentielle-et-par-competences.html#more
Olivier, je n'ai aucun mal à avouer que je n'aime pas corriger. Je n'aime pas corriger, parce que quand il n'y en a plus, il y en a encore. Et si j'allonge ta phrase, elle est encore plus vraie : je n'aime pas corriger les maths d'ingénieur. On fait tellement peu de vraies maths, on insiste tellement sur l'écriture lorsqu'on en fait, que les copies reviennent mieux rédigées que lorsqu'on leur présente des "problèmes d'ingénieur" où là, ce qui leur importe, c'est d'arriver à la solution, souvent en gaussant.
Mais vous avez raison, je suis en bonne partie responsable de la situation.
En génie civil, par exemple, le programme s'est penché sur des attitudes essentielles à développer chez leurs techniciens et parmi celles-là la qualité des "brouillons". Les équipes de génie civil doivent prendre des notes sur le terrain et ce sont ces notes qu'ils utilisent par la suite. Ils ont donc une façon de noter et de corriger, ils se doivent d'être très structurés et précis lorsque, par exemple, ils doivent échanger leurs cahiers. Pour être cohérente avec le programme, j'ai donné un premier examen formatif "à la française". Brouillon = pas de correction. C'était bien amusant, car mélangez ensemble "je n'aime pas corriger" avec "si c'est brouillon je ne corrige pas" et vous verrez le résultat. Les résultats ont été notables. (Il faut dire que tous les profs du programme poussaient également en ce sens, alors...)
Il en est de même pour les projets d'intégration en mathématique où je suis tellement stricte et exigeante sur la forme que je reçois toujours des travaux de qualité. Mais ces projets sont rédigés à la maison...
Par contre, mon gros problème, ce sont les examens sommatifs.
Par exemple, celui que je présente dans ce billet devait durer 2 h 30. Comme nous étions deux vieux profs à donner cet examen, nous savions que l'examen serait long, nous nous sommes donc entendus pour donner plus de temps (3 h 15) (histoire d'être équitable entre les deux campus). Après 3 heures, deux élèves étaient sortis. Après 3 h 30, j'ai enlevé les copies à un peu moins de la moitié de la classe qui restait puisque (par étourderie de ma part) je ne pouvais pas communiquer avec mon collègue. L'examen final a une forte pondération et ce cours est crédité dans certaines universités. J'ai eu pendant l'examen des froissements de cahier, j'ai eu des "tabarnak" murmurés, des crises de larmes, des rires nerveux, bref, des signes de panique. Mais ils se sont battus et ils ont obtenu des résultats. Mes examens sont vaches, mais refuser de les corriger parce qu'ils sont brouillons me rendraient chienne et je ne suis pas prête encore à passer ce stade... mais j'y pense de plus en plus, pour leur bien (Blagu'cuicui, tu as raison) et pour le mien !
Ah les corrections, un sujet qui te tient à coeur cher MissMath !
Personnellement, je refuse de corriger un brouillon pour diverses raisons :
* dans la vraie vie, un employeur ne se contente pas d'un brouillon, même si le délai est court ;
* mettre en valeur le contenu d'un document par l'adoption d'une présentation pertinente et soignée fait partie intégrante du travail : j'ai coutume de dire que je ne peux évaluer que ce que je vois et comprends...
* j'éprouve de grosses difficultés à lire une écriture qui n'est pas la mienne, et avec l'âge...
Je me permets d'attirer ton attention sur mon billet, en gestation depuis quelques semaines, finalisé à la suite de ton propre billet : "Corriger pour évaluer / Evaluer pour Corriger".
J'en parle trop, c'est clair, mais vous me faites du bien. La session prochaine sera mieux.
" vous me faites du bien"
Et vice versa .
La correction des copies est une corvée,un travail ingrat,certains ont peur (ou je ne sais quelle pudeur)de le reconnaître .
Monsieur Marion a ajouté :
Les ceux-ce qui aiment corriger sont ceux qui ne savent pas s'amuser ; jouer avec Wolfram Alpha par exemple,qui a encore des
progrèssémantiques à faire.
...
(Monsieur Marion, ne dévoilez pas nos secrets ici, voyons ! hi!hi!hi!)
Merci maîtresse pour le code ;
j'apprends vite avec vous
Je n'avais pas encore lu ce billet, étant trop occupée par mes propres corrections. ;-) Comme ta collègue, je suis sévère sur la propreté des copies qu'on me remet. Il faut que ce soit écrit à double interligne, à l'encre bleue ou noir, au recto de la feuille seulement et que le total de mots soit inscrit à la fin de la copie. Si ces règles ne sont pas respectées, je fais recopier. Si l'étudiant rechigne, je lui annonce qu'il n'aura pas la note de son travail tant que celui-ci ne satisfera pas mes demandes. Au premier travail de la session, ça grogne un peu, mais c'est beaucoup mieux par la suite. Ah oui, je leur montre des exemples de copies (sans les noms) des sessions passées de ce que je considère comme des torchons. En général, le message passe.
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