Effrayant.
Il y a quelques sessions, j'entendais à la radio la nouvelle suivante :
Au Canada, 42 % des gens sont analphabètes.
"Ben voyons donc !"
Encore faut-il savoir comment on définit le concept.
Est-ce quelqu'un qui ne sait pas lire du tout ?
Est-ce quelqu'un qui ne sait pas lire une liste d'épicerie ?
Est-ce quelqu'un qui n'arrive pas à lire Kant ou pire, une thèse en éducation ?
On parle plutôt de littératie, un continuum entre l'analphabétisme et l'alphabétisme qui inclut un volet mathématique. C'est en fait la compétence à lire de l'information pour s'en servir par la suite.
L'Enquête internationale sur l'alphabétisation et les compétences des adultes (16 ans et plus) de Bertrand Perron et Éric Gagnon couvre 4 domaines :
- La compréhension de textes suivis (éditoriaux, reportages, brochures, manuels,...)
- La compréhension de textes schématiques (formulaires, horaire de transport, cartes routières, tableaux, graphiques, ...)
- La numératie (problèmes d'ordre mathématique)
- La résolution de problèmes
Pour chacun de ces domaines, on situe les répondants selon 5 niveaux de compétences (1 = très faibles compétences, 5 = compétences élevées).
Les résultats sont fort intéressants :
Selon Francine Bernèche de l'Institut de la statistique du Québec, en 2003, la proportion de la population québécoise âgée de 16 à 65 ans qui atteint ou dépasse le seuil de compétence jugé nécessaire pour fonctionner dans la société actuelle (niveau 3) est d'environ 51 % en compréhension de textes suivis, 49 % en compréhension de textes schématiques et 47 % en numératie.
N'atteignant que le niveau 1, on retrouve 16 % des personnes pour les textes suivis, 18 % pour les textes schématiques et 20 % en numératie.
En comparaison avec l'ensemble du Canada, le Québec fait piètre figure, sauf chez les jeunes de 16 à 25 ans. On pourrait faire des tests statistiques pour vérifier si ces différences sont significatives.
(Portrait global des compétences en littératie, chapitre 2, p.50)
Il sera intéressant de voir les résultats longitudinaux de cette enquête. On constate en effet que les jeunes Québécois (16-25 ans) ne se distinguent pas des Canadiens et n'ont pas de résultats tant catastrophiques par rapport au reste du monde. Par contre, c'est dans les tranches d'âge supérieures que les choses se gâtent. Qu'en est la cause ? Le manque de pratique ? Les anciens programmes d'éducation ?
Il n'en demeure pas moins que les pourcentages de gens situés dans le niveau 1 de compétence sont effrayants et des actions doivent être prises pour venir en aide à ces gens. La fondation pour l'alphabétisation peut contribuer à changer cela.
« J’ai jamais eu de problème à gagner ma vie et faire vivre ma famille jusqu’à l’année passée... J’avais une bonne job d’opérateur dans une usine de meubles. Mais je l’ai perdue ma job, on l’a tous perdue quand ils ont fermé l’usine. J’étais même pas capable de remplir une application. J’ai jamais été bon là-dedans, j’ai lâché l’école jeune et c’est ma femme qui s’occupait de ces choses-là. Mais il fallait que je me prenne en main, ça fait que le mois passé j’ai commencé des cours. Ça fait peur au début, ben peur. Mais moi pis mon gars on a un deal, je finis mes cours et lui il finit son secondaire 5. On va s’encourager, je suis déjà fier de ce qu’on a accompli… »Stéphane
La campagne de financement de la Fondation bat son plein. Un moyen original d'y contribuer consiste à acheter un mot.
Regardons maintenant entre les lignes de l'enquête.
Un peu de mauvaise foi parfois, ça change les idées.
Rien à dire concernant la méthodologie. Un échantillon stratifié à plusieurs phases, des résultats pondérés, les concepts bien définis et les indicateurs bien analysés, l'ajustement pour la non-réponse considéré.
Là où mes sourcils se sont joints, c'est en lisant que le taux de réponse était de 65,2 %. L'instrument de mesure était un questionnaire. Je ne vois pas cependant comment ce questionnaire était distribué. Par la poste ? Si c'est le cas, il me semble qu'une personne analphabète n'aura certainement pas envie de répondre au questionnaire. N'y a-t-il pas un biais vers le niveau 1 dans l'ajustement de la non-réponse ? Le portrait embellirait alors la réalité...
Houhouhou... ça donne le goût de s'offrir un autre mot.
Maintenant, là où ça devient amusant, c'est lorsque l'on regarde les exemples de textes soumis.
Texte suivi :
Au niveau 1, on demande le nombre maximal de jours pendant lesquels vous pouvez prendre ce médicament.
J'aimerais connaître le niveau 5.
Imaginons-le : Quelle dose affecte les reins ? Parlez-nous du symptôme de Reyes ? Qu'est-ce qu'une posologie orale ? Quelle est la portée des enfants ? Un comprimé peut-il être déprimé ? Qu'est-ce qui distingue l'asthme de l'asthme bronchique ?
Texte schématique :
Niveau 1 : Quel est le pourcentage de femmes dans l'enseignement en Grèce ?
51,2 % ?
Nenni ! Il y a 51,2 % de femmes dans l'enseignement aux niveaux maternelle, primaire et secondaire en Grèce, mais ce graphique ne présente pas du tout le pourcentage de femmes dans l'enseignement en Grèce puisqu'alors il faudrait également ajouter les enseignants des niveaux post-secondaires. Houhouhouhou... Je sèche. Je coule ?
Niveau 2 : Dans quel pays, à part les Pays-Bas, les femmes sont-elles en minorité dans l'enseignement?
Le Danemark ?
Oui, mais, selon l'UNESCO, c'était également le cas, en 1996, au Costa Rica, en Argentine... et ici je ne parle que de l'enseignement maternelle, primaire ou secondaire. Si on agrandit le spectre à l'enseignement post-secondaire et même aux écoles particulières (la question ne limite pas le type d'enseignement), d'autres pays s'ajouteront à la liste et peut-être même certains pays considérés dans le graphique. Je coule ?
(D'un point de vue conception graphique, la représentation est trompeuse.)
Niveau 3 : Décrivez le rapport entre les ventes de feux d'artifice et les blessures attribuables aux feux d'artifice.
On constate ici que dans le premier graphique, les données vont de 1986 à 1992 tandis que dans le deuxième l'échelle du temps va de 1983 à 1990. On ne peut donc comparer ces graphiques qu'entre 1986 et 1990.
Cette question est fort intéressante et je serais bien curieuse de voir comment les étudiants du Renouveau pédagogique y répondent, puisque les nouveaux cours de mathématique et d'univers social les préparent à analyser ce genre de graphique. Je sais que mes étudiants actuels de méthodes quantitatives ont beaucoup de mal à interpréter ce genre de graphique, qu'il ne leur est pas naturel d'aller chercher l'intervalle de validité, encore moins de faire des comparaisons de variations. Et soit dit entre nous, le premier graphique est un modèle d'horreur de construction de graphique statistique.
Numératie :
Niveau 2 : Le réservoir d'essence de cette voiture peut contenir 48 litres. Environ combien de litres d'essence reste-il dans le réservoir ? (Supposez que la jauge est précise.)
En tant que grande contributrice à l'effet de serre, j'ai pu constater que la jauge d'essence des voitures n'a pas forcément une échelle linéaire. Sur ma Honda, par exemple, il faut beaucoup de kilomètres avant de quitter le F, mais une fois la moitié dépassée, l'aiguille descend vite.
Peut-être est-ce psychologique... l'angoisse de la panne d'essence...
Il faut savoir que l'indicateur d'essence fonctionne en utilisant les principes électriques de deux électro-aimants. On le calibre en accordant 0 Ω lorsque le réservoir est vide et disons 100 Ω quand il est plein. Mais on le considère plein lorsqu'il est rempli à 80 % de sa capacité. Que se passe-t-il quand, distrait comme moi, on emplit le réservoir jusqu'au débordement ? Est-ce que le champ magnétique varie de façon proportionnelle au volume d'essence ? Un réservoir d'essence a une forme qui ressemble peu à un parallélépipède rectangle, selon le niveau d'essence, la variation du niveau ne sera donc pas directement proportionnelle à la variation du volume d'essence consommé, l'indicateur en tient-il compte ?
Adepte du record d'essence, j'ai déjà mis dans ma Mazda dont le volume du réservoir était théoriquement de 50 litres, 57,5 litres d'essence. Un record inégalé, lire inégalable. (Avec les nouveaux dispositifs environnementaux, le jeu du record d'essence demande beaucoup trop de patience et, par conséquent, il perd de son charme.) Je suis donc bien placée pour affirmer que l'aiguille de l'indicateur d'essence va au-delà du F et en dessous du E.
(Est-ce que dans les pays francophones, le F et le E sont remplacés par P et V ? (J'exclus évidemment la France où les arrêts sont des STOP, les stationnements des parkings, les vols nolisés des charters ! ))
Tout ça pour dire que je ne gagerais pas sur le fait qu'il reste 36 litres d'essence dans ce réservoir. À moins qu'un ingénieur passe sur ce blogue pour me convaincre que le volume d'essence est proportionnel à l'ouverture de l'angle au centre de l'indicateur par rapport au F. Autrement, la jauge se lit : il y a assez d'essence pour parcourir une bonne distance.
(Remarquez que je lis les montres de la même manière (je ne sais pas lire l'heure), quand la grande aiguille a une pente négative, je suis en avance, une pente positive, je suis en retard. Et je suis quelqu'un de très positif dans la vie ! Ha !)
Vous pouvez m'aider en m'achetant un mot doux.
1 commentaire
Voici un texte que j'avais écrit sur le sujet: http://y0gen.com/?p=634
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