Madame Simon est mon amie.
"Ah mais c'est vous ! Jeannine ne m'avait pas dit que vous viendriez cet été. Mais alors il faut passer à la maison !"
"Madame Simon, je viendrai inspecter votre jardin !"
"Comment ? Ha, il n'est pas très beau cet été. J'ai été malade et je n'ai pas pu m'en occuper comme il faut."
C'est vrai que Madame Simon a été très malade l'hiver dernier.
Une vilaine grippe qui s'est transformée en pneumonie.
Près de deux mois en convalescence dans une maison de repos.
On a même cru qu'elle y passerait.
Madame Simon a 83 ans.
Elle en paraît 90.
Ses doigts ressemblent à des ceps de vigne.
Elle marche avec difficulté.
Elle ne voit presque rien.
Elle est sourde.
Elle est usée.
Elle a un jardin.
C'est son jardin qui a fait que nous sommes devenues amies.
Madame Simon habite le pays des hortensias, ma fleur préférée. Elle en a de magnifiques. Roses, mais surtout des bleus.
"Ah, ils ne sont pas très beaux cette année. J'ai été malade, alors je n'ai pas pu m'en occuper. Et puis, il fait trop chaud. Les hortensias n'aiment pas cette chaleur. Et là, j'ai planté mes haricots et mes oignons. Je ne sais pas ce que ça donnera. Comme j'étais à l'hôpital, je n'ai pas pu bien m'en occuper. D'habitude, j'ai des salades et des fraises, mais cette année, je n'ai pas eu le temps. Vous avez remarqué que j'ai coupé mon laurier ? Il ne m'en reste qu'un. Je vais plutôt mettre là des roses trémières."
Avez-vous déjà vu... un jardinier satisfait ?
Avez-vous déjà vu... un jardinier qui n'a plus rien à faire dans son jardin ?
Malgré ses courbatures, malgré sa vue, Madame Simon passe ses journées à travailler dans son jardin. Elle désherbe ce qu'elle voit. Elle bêche. Elle plante et transplante. Elle pose des tuteurs. Elle coupe les gourmands. Malgré la chaleur, malgré la pluie.
Car ça pourrait être mieux.
Si ceci.
Si cela.
Si vous croyez qu'elle fait tout cela parce que ça l'occupe, vous vous trompez !
Car quand je lui dis que j'irai prendre des photos de son jardin, elle met sa plus belle robe, comme pour envoyer à ses fleurs le signal qu'il leur faut être à la hauteur, qu'elles seront observées, jugées.
Et quand je prends en photo ses bégonias, c'est elle qui fleurit de fierté.
Ces temps-ci, plusieurs enseignants décrivent leurs journées de travail et témoignent de leur découragement et de leur fatigue. Tout en donnant l'heure juste, j'ai parfois peur que ces messages découragent ceux et celles qui aimeraient devenir enseignants. Aussi, j'aimerais leur dire ceci :
Avez-vous déjà vu... un professeur satisfait ?
Avez-vous déjà vu... un professeur qui n'a plus rien à faire dans son cours ?
Voulez-vous connaître ce sentiment de fierté et d'accomplissement quand s'épanouissent vos élèves, quand ils réussissent ?
Enseigner, c'est faire un jardin.
10 commentaires
Missmath, tu n'as pas tort. Je crois quand même, enfin, je vais parler pour moi, que ce sont les lourdeurs administratives qui nous découragent.
Notre classe est bel et bien notre jardin, s'il nous épuise, on essaie quand même de le rendre plus fertile, mieux aménagé, etc.
Mon grand-père était un grand jardiner. Lorsqu'il s'est retrouvé en chaise roulante, paralysé, il a perdu une lueur, celle que lui donnait le plaisir de jardiner sans relâche, de nous montrer son immense jardin.
Simplement MERCI.
Vraiment touchant. Et tellement vrai!
Je retourne dans mon jardin car ça pousse, ça pousse vite!
Miss: tu vois, le problème n'est pas d'enseigner pour les élèves. J'aurais toujours de l'énergie pour le faire si ce n'était que je dois souvent enseigner contre une gestion lente ou inefficace, des parents qui minent mon autorité, un MELS qui décrète parfois sans consulter...
Ma classe est un jardin. Mais pour rester dans l'analogie, seulement, il est difficile de le garder beau quand on piétine mes plate-bandes si souvent.
En cette période où le jardinier que je suis broie une couleur plus foncée que d'habitude, je te dis merci pour cet éclat de soleil au coeur :-) Merci !
Je retourne à mes plantes ;-)
Et je "planterai" les admins qui oseront s'ingérer dans mon jardin, la sinistre en tête, point.
Merci pour ce texte qui nous donne courage et inspiration en ces jours gris. Mme Simon a dû en essuyer des échecs, recommencer jours après jours les mêmes gestes, ou carrément reprendre à zéro. C'est un bel exemple, car la fin justifie les moyens.
Quelque chose me dit que nous entrons dans une ère qui bouleversera bientôt notre façon de jardiner. Laissons-nous inspirer par tant de persévérance...
Vous avez bien raison en ce qui concerne les tracasseries administratives.
Marielle, j'ai la même impression que toi : les bouleversements arrivent dans le jardinage. Je pense même qu'en mathématique la nouvelle ère sera faite de machineries agricoles adaptées à nos jardins et d'un retour au jardinage biologique et au compagnonnage.
Quel billet!
Je suis sans mots, mais en voilà un: merci!
Les tracasseries administratives rassurent (mais qui donc ?). Il y en beaucoup; on a peut-être besoin de beaucoup se rassurer... Un peu, c'est bien; c'est comme la mauvaise herbe; il en faut bien... On s'ennuierait sinon.
Bel article en tout cas. Merci
Magnifique billet! J'espère qu'i ne restera pas qu'ici.
J'oserai dire que le jardin que je cultive est envahit de parasites, voilà ce qui me dérange.
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