Définitions :
c.i. = Charge individuelle d'un enseignant de niveau collégial. La c.i. s'obtient par un calcul mathématique aussi éloquent de celui qui permet d'obtenir la cote R. Il fait intervenir le nombre de préparations, le nombre d'étudiants, le nombre d'heures de cours, les libérations pour divers comités ou projets, bref plein de variables quantitatives qui en bout de ligne donnent une valeur qui ne doit pas dépasser 88 dans une année. Idéalement on visera 44 par session, chose qui n'est généralement pas possible. Une c.i.inférieure à 80 sera rejetée par l'administration du Cégep, puisque le MELS ne finance pas la sur-embauche.
Plan cadre : Devis d'un cours. Le Ministère prescrit l'énoncé de compétence, le contexte de réalisation, les critères de performances, chaque cégep décide du contenu à couvrir pour atteindre ces critères.Navrant de constater le silence qui règne sur ce blogue.
Essoufflement ?
Non.
Manque de temps.
La session a été dure.
Une grosse c.i. ?
Non.
En fait, la plus petite de ma carrière.
Comme j'ai eu une c.i. supérieure à 48 cet automne, j'ai hérité d'une c.i. de 37 cet hiver, dont une bonne partie en libération.
Une seule préparation.
Un seul groupe.
Seulement cinq heures de classe par semaine.
Un cours dont je suis l'auteure du plan cadre, dans un programme que j'aime, avec mes étudiants de l'automne que je connais très bien. Un cours que, sous son précédent label, j'ai donné plusieurs fois. Cours qui, au niveau des contenus, n'a pas vraiment changé sous sa nouvelle appellation.
Bref, tout le gage de bonheur pour avoir une session calme et tranquille.
Sauf que... quand une telle occasion passe, il faut la saisir par les cheveux.
Deux points me dérangent depuis longtemps :
- L'évaluation
- La didactique
Entre les deux, pourquoi choisir ?
L'évaluationAdepte depuis quelques sessions déjà des
grilles d'évaluation, une autre chose me dérangeait :
Sachant les étudiants ont 15 semaines pour développer telle compétence ou telle compétence, est-il correct de donner des points pour une vérification de contrôle du développement de cette compétence ?
Illustrons ceci avec un exemple.
J'enseigne la valeur moyenne d'un signal élémentaire en janvier. J'évalue la chose en février. Pierre n'a pas compris. Il échoue. On régule, puis on complexifie. L'évaluation finale de mai propose le calcul d'un signal (élémentaire ou non). Pierre réussit. Ne devrait-il pas être "remboursé" pour les points qu'il a perdu sur ce sujet en février ?
J'ai donc décidé d'expérimenter la stratégie évaluative suivante :
Les examens d'étape avaient un volet sommatif et un volet formatif. Le volet sommatif se voulait final. Par exemple, les séries de Fourier, apprises en début de session, ont été évaluées en février et on n'en a plus reparlé après. Le volet formatif, quant à lui, voulait permettre la régulation de chaque étudiant pour l'examen final. Il y a eu au cours de la session deux examens purement formatifs. De la même forme que tous les autres, ces examens comptaient pour 0 % de la note finale.
Inutile de préciser que sous cet angle, la pondération de l'examen finale devient non négligeable. En fait, le dernier jour de classe, aucun de mes étudiants ne passaient le cours. Cependant, aucun d'entre eux ne l'échouait non plus. Tout était possible.
Pourquoi décrocher quand on a encore des chances de passer ?
Je dois avouer que lorsque j'ai présenté le plan de cours, certains étudiants ont eu très peur devant l'importance de l'examen final. J'avais heureusement dans ma manche une carte d'atout : ils me connaissaient et ils savaient que je ne les laisserais pas tomber s'ils ne se laissaient pas tomber.
Cependant, en tant que maître de l'expédition, je n'avais du coup plus le droit à l'erreur. Mon seuil minimal de réussite du cours étant fixé en début de session, j'avais 15 semaines pour les y amener et les rendre suffisamment confiants de réussir.
Cette aventure est devenue bien stressante, par manque d'habitude. Voilà bien longtemps que je suis revenue du baccalauréat internationale où je devais préparer mes étudiants non seulement à développer les compétences du DEC, mais à réussir les examens de l'
O.B.I. Un prof de Cégep, comme un professeur universitaire, peut être unique maître à bord : il rédige et corrige toutes ses évaluations et la note qu'il attribue à un étudiant atteste de sa réussite ou de son échec sans aucune autre formalité. Au Cégep,
Alice est avec ses élèves au pays des merveilles.
Mais s'il n'en avait été que de cela...
La didactiqueCar si le cours et son contenu sont essentiellement restés les mêmes (le cours s'est légèrement alourdi), les étudiants et leurs outils eux ont changé.
La dernière fois que j'avais donné l'ancienne version du cours, j'avais dû faire des ajustements, car les difficultés en algèbre des étudiants ralentissaient le rythme du cours.
Comme les étudiants qui nous arrivent ces dernières sessions ont de très grosses lacunes en algèbre, les choses n'étaient pas appelées à s'améliorer et en rédigeant le plan cadre, je me suis demandé s'il serait encore possible de donner le cours à l'ancienne.
C'est un collègue qui, malgré mes avertissements, a inauguré le cours en se basant sur mes anciens documents. Les résultats ont été catastrophiques. Il s'est cassé la gueule de façon magistrale.
Forte de cette erreur, considérant le changement important dans le contexte de réalisation du cours (à l'aide de logiciels, d'une bibliothèque mathématique, en utilisant comme support l'ardoise électronique avec ou sans accès à Internet), j'ai décidé de suivre l'idée de
Conrad Wolfram et de changer la didactique du cours.
Les gens équilibrés opteront pour un tel revirement pour une étape d'un cours.
Hélas, je n'ai pas hérité du gène de l'équilibre.
De toute façon, ce cours ne s'y prêtait pas.
Du coup, aucun manuel de cours ne pouvait être utilisé. Aucun manuel de mathématique scolaire n'avait de sens, puisque tous mettent l'emphase sur les techniques mathématiques de calcul ou de simplification, chose que j'entendais désormais laisser à l'ordinateur.
Il me fallait donc monter toutes les notes de cours sans pouvoir utiliser du "vieux" matériel, puisque le vieux matériel avait été monté dans une approche traditionnelle.
Il me fallait également construire tous les exercices, leur solutionnaire. Et pour la régulation, bâtir d'autres exercices ? Pffffff... automatisons la chose.
Comme le cours est logé sur Moodle, comme le Cégep n'a pas de licence institutionnelle pour un logiciel de calcul symbolique (c'est terrible, mais les ressources sont limitées et les priorités sont ailleurs), j'ai utilisé
Wiris qui s'imbrique dans Moodle et qui vient de développer un nouveau produit (Wiris Quiz) qui permet de programmer des exercices. Tout à fait génial. Vous programmez un exercice et vous venez de créer une banque quasi infinie de questions sur un sujet.
Or, le produit est nouveau et je dois avouer qu'au premier cours, je n'avais jamais vraiment programmé la bête. Heureusement que mon vieux qui aime ça les maths avait passé une partie de l'automne à créer des exercices qui m'ont permis apprendre la syntaxe. Heureusement qu'il a souvent eu la générosité de sortir de sa retraite pour m'aider à trouver l'astuce pour réaliser tel ou tel exercice. Heureusement aussi que l'équipe de Wiris, en particulier le sympathique
Carles Aguilo était là, toujours prêt à répondre dans un français presqu'impeccable à mes cris de détresse dans les minutes et ce malgré les 6000 km qui nous séparent (je dois avouer que comme je suis un oiseau de nuit, le décalage horaire joue en ma faveur). Reste que j'ai rarement vu un tel service à la clientèle et je ne comprends pas que les autres cégeps qui sont passés à Moodle se privent toujours de leurs produits.
Voilà donc qu'une fois libérée du "joug" théorique du calcul différentiel et intégral, après quelques semaines de cours, je fais le saut dans le vide : finir le cours en utilisant le
CAS, le calculateur Wiris.
Contrairement à la majorité de nos cours où l'on présente des situations déjà mathématisées à résoudre et où l'interprétation se résume souvent à rejeter quelques valeurs obtenues qui ne répondent pas au contexte, mes cours devenaient : Partir d'une situation, la mathématiser, résoudre à l'aide du CAS, interpréter, critiquer la vraisemblance en utilisant une autre approche de résolution.
Mes étudiants n'ont aucune idée de la règle du produit ou du quotient d'une dérivée, ils savent à peine effectuer des substitutions algébriques pour intégrer. "Scandale", diront mes collègues. Vraiment ? Que restent-ils de ces règles après le cours chez la majorité de nos étudiants ? Rien. Alors pourquoi tant y tenir ?
Le virage ne s'est pas fait sans cri ou grincement de dents de la part des étudiants. On est loin des vieilles pantoufles de cours de mathématique et, puisque l'ordinateur fait la majorité de notre travail habituel, les étudiants perdaient tout à coup leurs repères.
"J'ai l'impression de ne pas comprendre ce que je fais quand j'utilise Wiris."
"Madame, ne craigniez-vous donc pas que nous devenions dépendants de Wiris ?"
Houhouhouhou... À l'heure où l'on prétend que l'on enseigne les mathématiques comme au siècle dernier et que les étudiants sont de leur temps, entendre de telles remarques fait forcément sourire.
Bien sûr, avant de me lancer dans une telle aventure, j'avais réfléchi à cette dépendance au logiciel.
Ces étudiants sont en technique. Ils n'auront probablement jamais à calculer une dérivée ou une intégrale de leur vie (même les ingénieurs ne font presque jamais ces calculs si ce n'est que par approximation numérique, la vraie vie a tendance à ne pas dévoiler les équations de ses fonctions...). Et puis, s'il advenait qu'ils aient à le faire, ils auront à leur disposition des outils beaucoup plus puissants que Wiris pour les aider. Et s'il advenait qu'ils n'aient pas d'outils, ils peuvent en
trouver pour pas cher...
Par contre, le fait qu'ils aient l'impression de moins comprendre en utilisant l'ordinateur m'embêtait beaucoup. Si les étudiants ne croyaient pas à cette nouvelle façon de faire des mathématiques, je risquais de les démotiver et ainsi réduire les chances de réussite en fin d'année. Cela était d'autant plus important qu'à ce moment-là, même s'il restait plusieurs semaines à la session, il était trop tard pour revenir en arrière sans devoir couper de façon significative dans le contenu.
Alors, je leur ai proposé un exercice. (Parfois, perdre une demie-heure de classe permet de sauver des heures.)
Pas le droit à l'ordinateur (sourire de soulagement dans la classe, enfin, on retourne à l'ancienne).
Pas le droit au iPod ni au cellulaire (indifférence, c'est comme ça dans tous leurs autres cours).
Pas le droit à la calculatrice, ni à la calculette (hum... méfiance, on la trouve moins drôle, mais c'est un jeu, alors on s'y prête).
L'exercice consiste à répondre en moins de 10 minutes à la question suivante :
Une classe décide de commander de la pizza. On en a deux pour 27.95 $ et deux autres pour 29.95 $. À ce montant, il faut ajouter la TPS et la TVQ. Comme il y a 15 personnes dans la classe, combien devra débourser chaque personne de la classe si on arrondit le montant au 25 ¢ près.Fafa bébé, n'est-ce pas ?
Les étudiants ont trouvé l'idée divertissante (d'autant plus qu'on s'était promis un vendredi révision pizza). L'addition s'est très bien déroulée. Le calcul des taxes, hum... il y a des calculatrices qui ont surgi sous les tables. Quant à la division, un seul étudiant se souvenait de l'algorithme. Personne n'a réussi à faire le problème dans les 10 minutes.
- Avec une calculatrice, je l'aurais eu facilement en moins d'une minute, me dit précisément la personne qui disait comprendre moins quand elle faisait des maths avec Wiris.
- As-tu l'impression de mieux comprendre ce que tu fais quand tu calcules les taxes à la main ?
- Non !
C.Q.F.D.
Inutile de vous dire qu'après cet exercice, Wiris est devenu notre allier.
Pour le meilleur... et pour le pire...
Car ne passant plus une heure à effectuer des techniques de simplification, il me fallait une plus grande variété d'exercices.
Et c'est alors que Wiris a montré quelques signes de faiblesse... lors de l'improvisation en classe d'un classique de l'optimisation.

Oups...
Du coup, la confiance dans le logiciel a été ébranlée. Peut-être la prochaine fois faudra-il songer à un calculateur plus puissant. Mais qui dit calculateur plus puissant dit souvent syntaxe plus complexe (et programmation en anglais (bof))... et dit licence dont on n'a pas les moyens...
Résultat de tout cela ?
- Un changement marqué dans l'engagement des étudiants.
- Une plus grande motivation de la part des étudiants.
- Lors des activités, problème de présence en classe !!! Non, pas d'absence, de présence. Les deuxièmes années venaient se joindre aux premières pour participer. Ou certains étudiants invitaient leurs amis.
- Un taux de réussite significativement plus élevé pour des évaluations plus complexes.
- Une médiane pour l'évaluation finale de 80 %, du jamais vu dans ce cours.
Parallèlement à cela, pour moi, des nuits et des fins de semaine à travailler pour ce cours, souvent jusqu'à épuisement en planifiant comment terminer pendant le cours ce que je n'arrivais pas à finir avant. La session aurait eu deux semaines de plus et je ne crois pas que j'aurais physiquement pu la terminer. Et pourtant, ça fait des années que je joue avec les TICE, plus de 10 ans que je monte tous mes cours sur Moodle. De plus, je n'avais que ce cours, une c.i. exceptionnellement petite comprenant une libération qui me permettait une belle marge de manoeuvre dans les échéances. (Eh oui, il y a des choses qui ont été reportées à cet été !)
Alors quand je vois ceci :
Je rigole.
Pour y arriver au Cégep, il faudrait en avoir les moyens.
Une grande partie des enseignants sont attachés à leurs cours comme des conservateurs de musée à leurs oeuvres.
Les profs équilibrés qui remettent les pratiques en question, pour conserver un minimum de qualité de vie, resteront naturellement à l'écart des technologies chronophages. Les autres, les rares hurluberlus de mon espèce, du moins ceux que je connais, en cette fin de session, sont dans le même état catatonique que moi. Brûlés.
Le pire dans tout cela : c'est qu'une fois qu'on a osé sauter, on ne peut plus retourner d'où l'on vient... mais on n'a pas les moyens d'y rester non plus.
Alors je cherche un mécène qui pourrait me permettre d'avoir le temps de monter des cours dignes du XXIe siècle. Ah
Grigori, donne-moi ton prix !