Je viens de terminer mes corrections. Je suis satisfaite, sans plus. Ce n’est pas la joie habituelle; c’est à l’image de cette session à distance. Je suis à peu près certaine que je ne reconnaitrais pas un.e de mes étudiant.e.s de cette session si j’en croisais un.e dans la rue. Pourtant, je m’en souviendrai de ces groupes (et de leurs animaux domestiques). Je me souviendrai de cette jeune fille, qui a fait toute la session de la salle de lavage familiale avec le sourire, et de cette autre, très faible en langue, qui reprenait le cours pour la deuxième fois et qui m’a dit «j’aurais pu encore plus me forcer», même si elle a enfin réussi à avoir la note de passage. Je ne suis pas près d’oublier celle qui m’a écrit que, pendant le premier confinement, ses parents se sont séparés, qu’elle a dû quitter le quartier qu’elle habitait depuis 13 ans, qu’elle n’a pas pu célébrer ses 18 ans, comme elle en rêvait depuis longtemps, et qu’elle a dû abandonner le sport qu’elle pratiquait depuis l’adolescence. Ne vous inquiétez pas trop, elle fait, malgré tout cela, un bilan positif de son année. Sa force de caractère m’a jetée à terre. Je garderai aussi dans ma mémoire sa collègue de classe, d’une intelligence vive, qui a reçu un diagnostic de trouble de la personnalité limite en cours de session et qui a tellement redressé la situation en commençant à prendre une médication qu’elle a quand même terminé le cours avec une très bonne note parce qu’elle possède une sensibilité de lectrice comme j’en ai rarement vue. Puis, je regretterai, c’est certain, de ne pas revoir ce jeune homme, qui étudie en Technique de génie mécanique, mais qui a tant aimé lire Kamouraska qu'il m'a dit «avoir pogné de quoi» (j’ai failli lui demander de l’adopter).Bien sûr, je pourrais également vous parler de ceux et celles qui ont fait le minimum, qui n’ont à peu près jamais allumé leur caméra, sauf en évaluation lorsque je les y forçais, de ceux et celles complètement apathiques dont j’ai très peu vu le visage, si ce n’est dans une capture d’écran que je leur avais demandé la permission de prendre en début de session, mais eux et elles, je les oublierai facilement.Par contre, je vais garder des flashs de quelques beaux échanges, plutôt personnels, en rencontres individuelles, de questions et de blagues dans le clavardage, de quelques moments de discussions de groupe où j’ai presque oublié le contexte d’enseignement pour me sentir un peu comme en classe. Et je pourrais continuer longtemps ce bilan, mais je m’en tiendrai à un dernier constat: l'année m’aura changée, comme prof et comme personne. D’ailleurs, je pense qu’elle nous aura tous et toutes changés. Nous n’avons sûrement pas fini de découvrir à quel point.
Photo : Jardinier malin
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